| Photos : Hugo Payen pour La Vague Parallèle
Entre sa plume romantique, sa voix ensorcelante et ses arrangements enveloppants, difficile de ne pas succomber à l’univers de Loverman. À l’occasion de la sortie de son premier album, Lovesongs, on a voulu en savoir plus sur ce projet aussi touchant qu’intriguant.
C’est aux antipodes de son premier amour pour l’électro et de ses deux albums rock bien déjantés avec ses compères de Shht que l’on retrouve James de Graef aujourd’hui. Sous Loverman, le singer-songwriter belgo-britannique explore la simplicité et la brutalité qui peut alors en découler. Il nous dévoile une partie de lui-même jamais explorée auparavant. Cette partie de lui qui aime et qui a aimé.
L’amour, un si petit mot pour englober tant de choses différentes. Toutes ces choses, Loverman tente de les dépeindre à travers ces onze titres tous aussi sensibles les uns que les autres. Avec son univers singulièrement mystérieux, c’est un véritable voyage que nous propose Loverman sur Lovesongs. Plus qu’un album de rupture, Lovesongs nous invite dans les méandres émotionnels de l’artiste.
Pour le poète folk, l’amour est en effet le ciment de son expression artistique. Pourtant, plus que l’amour en tant que tel, c’est tout ce que ce terme englobe dont il est question ici. Epaulé par Pieterjan Maertens et Jo Francken (ayant travaillé avec Tamino) à la production, c’est l’un des plus beaux albums de l’année que Loverman nous offre aujourd’hui. Tant dans sa complexité que sa sincérité.
La Vague Parallèle : Salut James ! À l’heure où l’on parle, ton premier album sous Loverman n’est toujours pas disponible. Tu reviens à peine d’une petite tournée aux côtés de Tamino. Ça fait quoi de jouer quelques morceaux jamais sortis aussi intimes devant des milliers de personnes ?
Loverman : On me demande souvent ce que ça fait de jouer devant tant de personnes mais en réalité, c’est assez naturel ! Évidemment c’est plus facile quand le public est réceptif, chaleureux et bienveillant mais je dois avouer que le public de Tamino fait partie des meilleurs devant lequel jouer. Pour être honnête avec toi, je me sens plus à l’aise de jouer devant des milliers de personnes. C’est moins stressant que de jouer seulement devant des gens que tu connais. Après, c’est clair qu’avant la première chanson il y a ce stress qui monte crescendo mais dès que tu termines cette première chanson, la machine est lancée.
LVP : Quand on écoute ta musique, on se plonge directement dans un univers où la poésie de Léonard Cohen se serait mélangée à l’atmosphère apaisante de Nick Drake. On est curieux·ses d’en savoir plus sur tes goûts musicaux et tes influences musicales.
Loverman : Ces deux grandes légendes de la musique ont eu pas mal d’influence, clairement ! Pas nécessairement pendant le processus d’écriture en lui-même mais plutôt à certaines périodes de ma vie. Beaucoup de Nick Drake, j’avoue. J’écoute pas énormément de musique pendant que j’écris, je ne sais pas trop pourquoi d’ailleurs. Je pense que ça me distrait d’une certaine manière.
LVP : Ces dernières années, tu as travaillé sur pas mal de projets différents qui sont finalement, bien loin de l’univers de Lovesongs. Il y a un peu plus d’un an, tu nous dévoilais l’intrigant Into The Night. C’était la première fois que tu montrais cette partie plus sensible et ces émotions plus intimes, en tous cas sous Loverman. Il y avait quoi dans ta tête à ce moment-là ?
Loverman : C’est sûr que c’était un peu effrayant. C’était le premier morceau que je dévoilais ! Entre mon arrivée au label, le premier clip, etc., c’était un gros coup. J’ai un peu sauté la case Soundcloud en fait, ce qui a rendu la chose plus importante et plus intense surtout. Plus effrayante finalement. Voir autant de jolis retours m’a soulagé, ça faisait du bien ! Ça m’a d’ailleurs encouragé à continuer.
LVP : Effrayant aussi de dévoiler certaines émotions que tu n’avais jamais réellement montrées ?
Loverman : Il y avait une certaine peur, oui. Pas forcément par rapport au fait d’exposer mes émotions mais plutôt de me dévoiler en tant qu’artiste en solo. À vrai dire, j’étais assez confortable avec le fait de parler de mes émotions. C’était plus le fait de mettre à nu qui j’étais, dévoiler certains aspects de ma vie à un public. Après, je pense qu’il s’agit plus d’histoires auxquelles les gens peuvent s’identifier, moi y compris, que de ma vie personnelle.
LVP : L’aventure Loverman a commencé chez tes parents, en plein confinement. C’était une époque particulière où toute l’industrie musicale s’est mise en pause malgré elle. Beaucoup d’artistes on dû arrêter leurs tournées, d’autres se sont retrouvé·es sans inspiration. Pourtant, c’est à ce moment-là que le premier morceau de l’album Another Place a vu le jour. C’était le début de l’aventure. On veut en savoir plus sur la manière dont ce premier morceau a germé !
Loverman : J’ai eu une conversation intéressante à ce sujet il y a quelques semaines. Quelqu’un m’a demandé ce que je faisais dans la vie et je lui explique que je suis musicien, que je joue de la guitare et écris des chansons. De fil en aiguille je lui explique que je n’ai jamais réellement eu d’attrait pour la guitare au début, ça ne m’intéressait pas du tout. La personne m’a alors répondu qu’en partant de ce point de vue, la relation que j’avais avec la guitare était déjà très forte à la base. J’ai toujours eu cette relation avec la guitare mais je suppose que c’était une relation compliquée. Je ne la comprenais pas et comme je ne la comprenais pas, je la rejetais d’une certaine manière. Jusqu’à ce que le déclic arrive. Pour moi, le confinement a été une période extrêmement inspirante, musicalement parlant. Je suppose que tout était une question de timing. J’aime l’idée que l’espace est la meilleure nourriture de nos pensées et de nos réflexions, si ça fait sens ? Quand le monde s’est arrêté, on s’est rapidement retrouvé avec du temps et surtout beaucoup d’espace. À l’époque, je traversais une période assez compliquée avec ma copine. C’était un peu le meilleur moment pour explorer les émotions que je traversais et de manière très intuitive, j’ai commencé à le faire à la guitare. Je me laissais un peu aller dans l’expérimentation, je voyais comment placer ma voix, comment elle résonnait sur les accords, etc. Je n’avais aucune technique, aucune connaissance précise ! J’ai adoré appliquer à la guitare mes connaissances du piano, des harmonies et de la musique en générale. Plus j’explorais tout ça, plus Another Place prenait forme.
LVP : C’est quelque chose qui t’a toujours trotté en tête, faire un album comme Lovesongs ?
Loverman : Je ne me suis jamais réellement dit « allez, faisons un album ». J’avais quelques morceaux à l’époque puis l’inspiration s’est emparée de moi. Découvrir un nouvel instrument est toujours un moment un peu particulier, comme sacré. C’est exactement ce que j’ai eu avec la guitare. Et c’est à ce moment-là que tu dois te laisser immerger par l’inspiration. Je n’ai pas eu de grande illumination de composition après avoir écrit Another Place, comme si tout s’était soudainement débloqué, ça a plutôt servi à consolider tout ce que j’avais en tête. Ça m’a donné confiance et m’a poussé à expérimenter !
LVP : Plus on écoute l’album, plus on a l’impression d’être face à un carnet rempli de souvenirs.
Loverman : Plus qu’un carnet rempli de souvenirs, je dirais que Lovesongs est un mélange de sentiments abstraits et de réflexions très directes.
LVP : Il y a pas mal de temps, Shakespeare suggérait que la musique était la nourriture de l’amour. Pour toi, le contraire fait d’autant plus sens. L’amour est la nourriture de la musique, surtout sur ce premier album. Est-ce qu’écrire te permet d’une certaine manière d’appréhender tes émotions de manière plus cathartique ?
Loverman : La musique est la nourriture de l’amour autant que l’amour est la nourriture de la musique, c’est sûr. Je dirais même que d’une certaine manière, l’amour peut être l’équivalent de la vie. L’amour est partout dans nos vies. J’aime à penser qu’il y a une raison pour laquelle on choisit la forme du cœur pour symboliser l’amour. Qu’est-ce qu’un cœur aurait à voir avec l’amour si il n’était qu’une simple émotion parmi tant d’autres ? J’aime l’idée que notre cœur nous soit aussi vital que l’amour en fin de compte. Est-ce que je pense que la musique m’aide de manière cathartique ? Sans aucun doute. Pour moi, chaque aspect de création a sa part de catharsis. C’est clair que mettre ses émotions sur papier occupe une grande partie du processus mais j’aime tout autant me perdre dans le simple fait de composer. Faire de la musique qui résonne avec moi, avec l’espace et les énergies qui m’entourent. C’est ma manière de méditer et de guérir aussi.
LVP : Plus qu’un album de rupture, Lovesongs aborde l’amour au sens le plus général du mot et explore tous ses aspects, qu’ils soient positifs ou négatifs. Sur Nothing Ties, tu écris “I’ll love you forever even if nothing ties us together“. C’était quelque chose d’important pour toi de pouvoir aussi aborder ces aspects moins joyeux de l’amour ? C’est aussi ça l’amour en soi.
Loverman : Je n’avais pas de réelle idée sur ce dont j’avais envie de parler sur cet album, plutôt des directions. Toutes ces choses sont venues de manière très inconsciente en fait. Ce que je peux dire c’est que le chagrin d’amour, la rupture, en étaient le commencement. C’est une émotion tellement intense que pas mal de choses peuvent en découler.
LVP : Sur le plan plus visuel de ta musique, difficile de ne pas s’imaginer dans un film des années 80 à la Paris, Texas quand on se met Candyman ou Tinderly dans les oreilles par exemple. Avec l’aide de Daisy Ray, vous avez réussi à donner ce côté plus cinématographique à ta musique. Que ce soit l’image ou les productions en elles-mêmes d’ailleurs. Est-ce que c’était quelque chose que tu avais en tête depuis le début ?
Loverman : Avant de faire le clip d’Into The Night avec Daisy, j’avais très peu de connaissances et d’idées vis-à-vis du visuel dont j’avais envie, voire de l’image en général. Je n’avais pas réellement d’attrait ou de relation avec tout ça. J’avais quelques notions c’est sûr, mais pas aussi développées pour tout imaginer. Quand j’ai commencé à écrire et à composer de la musique, c’était surtout des choses plus électroniques. La façon dont James Blake, par exemple, manie ses compositions et arrive à y incorporer autant de petits éléments d’ambiance me fascine. J’aime l’idée de pouvoir raconter des histoires à travers certains choix de composition plus cinématographiques. C’est devenu partie intégrante de mon vocabulaire. Inévitablement, l’idée a été la même quand l’heure de créer les visuels derrière toutes ces compositions a sonné. Mon amie Daisy Ray s’est énormément occupée de tout cet aspect visuel de l’album. J’ai beaucoup appris de notre collaboration et j’en suis tellement reconnaissant. Le fait de pouvoir continuellement explorer cet univers visuel est quelque chose de fou ! On ne se met aucune limite et je trouve que c’est vital. Mais ça ne veut pas forcément dire que tout le monde aime cet univers visuel. Je pense d’ailleurs que pas mal de monde le trouve déroutant par moments (rires).
LVP : Indubitablement, ton album est rempli de mélancolie. Pour pas mal de personnes, la mélancolie fait référence à quelque chose de triste, de sombre parfois. Quelque chose qu’iels veulent fuir. Pour d’autres, c’est tout le contraire. On aurait alors besoin de cette mélancolie pour purger nos émotions d’une certaine manière. Comment tu parlerais de la mélancolie toi ?
Loverman : Je dirais que la mélancolie est un espace où tu peux te retrouver avec tes émotions sans avoir peur. C’est une atmosphère, une énergie. Elle te permet de mettre ta vie en pause, peu importe ce que tu traverses et de laisser entrer tes émotions. On parle souvent de la mélancolie comme d’une humeur et je pense que c’est quelque chose d’également très thérapeutique. Tout est une question d’équilibre je dirais, et de trouver cet équilibre. Tout ne peut pas être que mélancolie et inversement. C’est quelque chose que j’apprends encore tous les jours, accepter ce vide. La vie est un enchaînement d’expériences qui nous consument et on ne prend pas assez le temps de prendre du recul sur tout ça. C’est comme si on ne faisait que manger sans passer par la case digestion. On a besoin de ce temps de réflexion sur toutes ces choses que l’on vit et je pense que la mélancolie est l’une des portes d’entrée à cette réflexion. Mon père avait l’habitude d’écouter pas mal de chansons tristes lorsqu’il traversait certains moments plus difficiles que d’autres, et il en était fier ! Il me disait : « j’en ai besoin », puis mettait Joy Division à fond (rires). Cette image de mon père qui accepte sa mélancolie me restera toujours en tête. En fin de compte, on ne peut pas fuir nos émotions.
LVP : Tu dis toi-même que tu n’as pas choisi ce nom de Loverman mais plutôt qu’il t’a choisi. Est-ce que tu penses que c’était la finalité de ce processus d’honnêteté et de catharsis que tu opères tout au long de l’album ?
Loverman : C’est pas mal comme accroche hein, ça sonne un peu film de super héros ringard (rires). Est-ce que ça fait partie de ce processus cathartique ? Je pense que oui. Ça m’a aidé à m’immerger dans ce personnage auquel je voulais m’identifier, qui je voulais être en tant qu’artiste. Mais en même temps, ça me permet de prendre un peu de recul sur tout le projet en lui-même. Je pense que ça peut parfois être intense de ne pas pouvoir dissocier la personne que tu es réellement de la personne que ton projet musical veut montrer. Pour moi, ce nom de Loverman est venu très naturellement sans réelle grande signification derrière. J’aime ce qu’il signifie, tout simplement. On traverse pas mal de changements depuis quelques temps, sur tous les plans. La signification de l’amour dans la conscience collective se modifie avec et j’aime l’idée de faire partie de ces changements. Je ressentais le besoin de parler d’amour, j’avais pas mal de choses à dire. C’était le bon moment !
LVP : Est-ce que tu dirais que c’est plus facile qu’avant de parler de ce genre de sujet aussi intime que l’amour plus ouvertement ?
Loverman : Je me pose la même question à vrai dire. Je suppose que beaucoup de personnes, beaucoup d’hommes surtout, se sentent plus à l’aise de parler de leur intimité, de ce genre d’émotion très directe et brute. Qu’est-ce qui a changé ? Je ne sais pas, je suis trop jeune pour le savoir (rires).
LVP : Un autre point qu’on adore avec Loverman, c’est ton pouvoir d’interprétation en live. À quoi peut-on s’attendre pour tes premières dates de cet automne ?
Loverman : Alors ça, c’est un secret ! (rires). À vrai dire on travaille encore là-dessus, ça prend forme. Tout ce que je peux dire c’est que ce sera très fun.
Toujours au premier rang d’un concert par amour mais surtout parce que je suis le plus petit. Je fais de la mélancolie mon principal outil.