Porcelain Id : portrait d’une mélancolie qui nous veut du bien
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Auteur·ice : Hugo Payen
14/11/2023

Porcelain Id : portrait d’une mélancolie qui nous veut du bien

| Photos : Hugo Payen pour La Vague Parallèle

Avec sa voix rauque de crooner et ses textes emplis de poésie, Porcelain Id fait indéniablement partie des révélations musicales belges de l’année. À l’approche de son passage plus qu’attendu au Fifty Lab Music Festival ce 16 novembre prochain, on a voulu en savoir plus sur l’artiste qui se cache derrière cet univers mélancoliquement authentique. Rencontre.

Une année pleine de hauts et de bas, de doutes mais aussi de joie. De cette dernière année, nous sommes allé·es en parler avec Hubert. Entre les quelques averses automnales du jour, direction Anvers où l’artiste belgo-rwandais·e passe le plus clair de son temps.

Singulièrement captivante et introspective, la musique qui s’évade de l’esprit créatif de Porcelain Id depuis quelques années maintenant ne manque pas de toucher les cœurs. Fusionnant les productions entrelacées plus électroniques de Youniss Ahamad et le songwriting impressionniste et sentimental d’Hubert, Porcelain Id revêt tout ce qui peut nous faire craquer.

La Vague Parallèle : De Tracy Chapman à Justin Vernon en passant par le chanteur de Franky Goes To Hollywood ou Band of Horses, on peut découvrir un tas de sonorités dans tes morceaux. C’est d’ailleurs quelque chose que tu explores beaucoup. On est curieux·ses d’en savoir plus sur tes influences musicales.

Hubert : Musicalement, mes influences sont en grande partie dues à mes ami·es d’enfance. J’ai découvert des genres musicaux que je n’aurais pas forcément pris la peine d’écouter seul·e. J’étais très lo-fi moi de base (rires), genre Elvis Depressedly. Puis comme tout le monde, je suis passé·e par le punk, le rock. C’est là que j’ai réalisé l’importance du message derrière un morceau. Toute mon adolescence a tourné autour de cette idée. Après, mes influences me viennent aussi d’en dehors de la musique en elle-même. J’adore la poésie. Construire mes morceaux me demande beaucoup de temps parce que j’ai besoin de trouver les bons mots, les mettre au bon endroit pour au final créer une harmonie entre la musique et les mots. Je pense que pour cet album, c’est ce qui m’a beaucoup aidé·e. J’ai pas mal de fois été coincé·e dans l’écriture, j’avais l’impression de tourner en rond. J’ai essayé d’enlever le côté narratif de mes textes et d’être moins direct·e. Un peu comme un film de David Lynch où tout est étrange tout en restant très authentique. Il te fait ressentir des émotions que tu ne pensais pas ressentir au départ. Je suis un peu jaloux·se de Lou Reed pour ça aussi (rires). Le talent pur qui émane de ses textes s’il te plaît !

LVP : À quel moment est entrée la guitare dans tout ça ?

Hubert : Quand je suis arrivé·e en Belgique à l’âge de huit ans, j’avais un ami d’enfance chez qui j’allais souvent jouer. Il avait une petite guitare en jouet et j’arrêtais pas de vouloir en jouer ! Alors que je ne savais pas du tout en faire à l’époque. Je sais pas si c’était la nouveauté qui m’excitait ou si j’aimais vraiment ça. À mon anniversaire suivant, ils m’en offraient une. J’ai rapidement été obsédé·e d’ailleurs. Ils ont su avant moi que la guitare allait faire partie de ma vie.

LVP : Est-ce qu’elle change avec le temps, cette relation que tu as avec ta guitare ?

Hubert : Durant mon adolescence c’était vraiment le pic, mais genre énorme pic. Ma pratique de la guitare à l’époque était quasi religieuse (rires). Je rentrais à la maison après les cours, je fonçais dans ma chambre jouer de la guitare. Et c’était ça jusqu’à la fin de la journée. Je n’en joue plus autant qu’avant. Je commence de plus en plus à m’intéresser au piano pour le coup !

LVP : Il y a trois ans, tu sortais Blauw. Premier morceau en tant que Porcelain Id. Il y avait quoi dans ta tête à l’époque ?

Hubert : Avec le recul, j’ai l’impression que je voyais les enjeux comme plus gros que ce qu’ils n’étaient réellement. Je l’ai prise tellement au sérieux cette sortie. Au point que je n’arrivais même plus à en profiter. Le morceau devait sortir un an plus tôt en réalité. C’est seulement après la sortie du morceau que j’ai compris que je pouvais en faire quelque chose. J’avais 23 ans à l’époque et je sentais cette pression étrange de devoir à tout prix finir l’université avant de me lancer. Je pensais devoir faire ce qu’on attendait de moi (rires). Ce qui est stupide, soyons honnête. J’adore me mettre de la pression non nécessaire (rires). Ça m’a presque empêché de sortir quoique ce soit d’ailleurs. C’était des moments plus compliqués de ma vie mais que j’aime profondément, ils m’ont permis d’avancer et d’être là aujourd’hui.

LVP : Tu décris ton univers comme de la Frankenstein-pop. C’est quoi une Frankenstein-pop ?

Hubert : C’est l’accumulation de toute ces musiques différentes avec lesquelles j’ai grandi. J’ai grandi avec Michael Jackson, avec… que Michael Jackson en fait (rires). On rigole mais j’ai grandi dans les années 2010. C’était une sacrée époque pour la pop ! Inconsciemment, j’ai dû comprendre que je voulais en faire mon métier. Pour te dire, si Youniss n’était pas intervenu, tous les morceaux de l’album dureraient plus de six minutes. C’était horrible pour lui (rires). D’une certaine manière, il a retiré toutes ces parties plus expérimentales pour ne garder que l’essentiel. Ce qui donne une construction très pop à quelques chose qui n’est de base, pas de la pop. C’est ça finalement, la Frankenstein-pop : mélanger plein de choses qui ne vont pas forcément ensemble. Du moins en théorie.

LVP : C’était facile de combiner les productions plus électroniques de Youniss avec tes démos plus acoustiques justement ?

Hubert : Ce n’était pas facile. On a passé pas mal de sessions où tout se déroulait à la perfection, mais où la suivante c’était l’inverse. Il a beau me détester quand je lui ramène des bouts de démos horribles à entendre mais musicalement, lui et moi, on est les mêmes. Même quand les choses ne fonctionnaient pas comme on le voulait, on trouvait toujours un moyen de dépasser ça et de voir où ça coinçait. Tout a été question de persévérance je dirais ! On a travaillé tellement minutieusement, détail après détail. On pouvait passer deux sessions entières sur un seul et même morceau. Il n’a pas arrêté de me challenger et je pense pouvoir dire que l’album va être bon grâce à tous ces challenges justement.

LVP : Je suppose que jongler entre toutes ces sessions, tout ce travail d’écriture, de composition, ta vie personnelle et de parent n’est pas quelque chose de facile non plus.

Hubert : C’est potentiellement ce qui est le plus dur. Aujourd’hui, je pense avoir trouvé un bon équilibre mais ça m’a pas mal chamboulé·e au début. Notre bébé était très jeune à l’époque. Je bossais en dehors de la ville puis je devais repasser par chez Youniss avant de rentrer à la maison, c’était clairement pas facile. Après, j’aime à penser que tout ça fait aussi partie de l’album, tous ces moments plus compliqués. Ça m’a demandé énormément de concentration, je devais donner mon être tout entier pendant les sessions d’enregistrement. J’étais en même temps épuisé·e et reboosté·e comme jamais à chaque fois. Je suis tellement reconnaissant·e du travail que Youniss a apporté sur le projet.

LVP : Tu viens de sortir Man Down !, qui est le premier single de l’album à paraître en février prochain. Dès les premières secondes, tu nous plonges dans un univers aux sonorités mi jazz, mi électro où tu nous balances une explosion d’arrangements à la fin. Comment ce morceau a-t-il fleuri dans ta tête ?

Hubert : Man Down ! est l’un des seuls morceaux que j’ai écrits directement avec Youniss à l’époque. Il y avait ce loop sur un b-side de son album, qui n’était pas un album à ce moment-là, que je ne pouvais pas sortir de ma tête. Au final, on en a créé un morceau à part entière. L’histoire derrière Man Down ! est partiellement inspirée du film BirdMan, surtout pour ce côté de souffrance invisible. D’un autre côté, il y a cette histoire tragique d’un jeune étudiant qui s’est noyé à Anvers après une chute. À partir du moment où j’avais cette image en tête, je ne pouvais pas m’empêcher de penser à cet étrange sentiment de confusion et de peur qui aurait pu apparaître si la finalité avait été différente. Puis tu as ces trompettes qui prennent beaucoup de place et qui vont dans tous les sens. Pour moi, c’était la meilleure manière de représenter ce à quoi pourraient ressembler les émotions qui peuvent découler de ce genre de tragédie.

LVP : Quand on regarde l’ensemble de ton catalogue musical, on remarque que tu aimes beaucoup travailler avec d’autres artistes.

Hubert : Tu apprends tellement en travaillant avec d’autres personnes. En toute honnêteté, je pense que je ne serais pas l’artiste que je suis aujourd’hui sans toutes ces personnes. Il y a cette étrange dichotomie entre ton ego qui te dit que tu peux écrire un morceau tout·e seul·e et cette réalité qui te rattrape en t’expliquant que tu as aussi besoin d’autres visions, leurs visions. C’est presque devenu un automatisme d’ailleurs. J’aime réfléchir a qui serait le·la meilleur·e artiste pour tel ou tel morceau. Comme un casting de film (rires). Toutes ces collaborations m’apportent tellement de choses auxquelles je n’aurais jamais pensé.

LVP : Est-ce qu’il y a des collaborations sur le prochain album dont tu voudrais nous parler en avant-première ? Fais-nous rêver.

Hubert : Il y a en a une que j’adore. Iels ne sont pas encore connu·es mais je suis persuadé·e qu’on ne pourra plus dire ça d’ici quelques temps. Iels avaient déjà une grosse place sur mon premier EP et avaient notamment chanté les chœurs sur Vlaanderen. Depuis, je n’ai jamais arrêté de collaborer avec elleux. Iels commencent à sortir des morceaux de leur côté et j’ai hâte d’entendre la suite !

LVP : La première fois qu’on a pu te découvrir sur scène cette année, tu étais seul·e avec ta guitare. Pourtant, l’album semble être rempli d’arrangements, de couches et d’expérimentations. En partant de quelque chose de très acoustique, c’était important pour toi de produire ce genre de premier album ?

Hubert : En dehors de la musique, c’était important pour moi d’arriver avec cette grande palette d’émotions et de couleurs. C’était la manière la plus honnête d’habiller toutes ces histoires présentes sur l’album. Je parle de sentiments et de situations qui m’ont touché·e durant un laps de temps très court et très intense. L’été où j’ai terminé l’université, j’attendais impatiemment que la location étudiante de ma copine se termine, j’ai dû me réinstaller chez ma mère, etc. C’était un été qui m’a à la fois paru comme interminable mais à la fois tellement rapide. Je disais adieu à une partie très spéciale de ma vie à l’époque. Une période que j’ai eu du mal à quitter parce que je m’y rattachais beaucoup trop. Pourtant, je devais la laisser partir. Toutes ces émotions mélangées à la douceur qu’une grossesse peut procurer, sans oublier mon passé d’anxieux·euse, ça fait un sacré cocktail. On a voulu rendre l’album le plus émotionnellement authentique possible. Tu ne te souviendras jamais d’un souvenir de la manière dont il s’est réellement passé, tu t’en souviendras de la manière qui te semble être la meilleure. Entre la manière dont tu le rationalises et la réalité, il y a un monde de différence. C’est là que rentrent nos propres émotions et ce sont ces deux réalités qu’on a voulu faire résonner à travers les morceaux.

LVP : Dans ton morceau No Denim, tu écris « Am I being naive? Am I dreaming too big? Would we ever be something more? Could we ever be something more than this?”. Est-ce que tu dirais qu’écrire t’aide à comprendre et à digérer tes émotions justement ?

Hubert : Parfois, je pense que oui. Le titre Vlaanderen a été un morceau très cathartique par exemple. Mais j’ai appris qu’il ne s’agissait pas que de ça. J’ai toujours écrit d’un point de vue très personnel et émotionnel, ce qui rend l’écriture facile. Mais d’un autre côté, ça complique d’autant plus le processus car ça te draine émotionnellement.  Je cherche à trouver le bon équilibre. Chaque morceau a sa part de catharsis.

LVP : On peut dire que ton morceau Montana est la preuve que la mélancolie occupe une sacrée place dans ta musique. Souvent perçue par beaucoup comme quelque chose de triste et de sombre, comment décrirais-tu la relation que tu as avec cette mélancolie justement ?

Hubert : Tout est mélancolique dans ma musique (rires). C’est potentiellement le morceau que je préfère jouer en live d’ailleurs ! De toutes les émotions que j’ai pu avoir, la mélancolie a toujours été la seule chose que je comprenais réellement. Toujours. C’est comme un endroit où on ne doit pas questionner la manière dont on se sent. Pour moi, une journée où je me sens mélancolique est une bonne journée (sourire). Après, je te parle d’une douce mélancolie. Ça à toujours été une question de faits finalement : que je me sente de telle ou telle manière, je l’accepte. La relation que j’ai avec la mélancolie est une relation de confort, ça n’a jamais été quelque chose de triste.

LVP : Ces dernières années, tu as fait pas mal de premières parties. Ce qui veut dire bouger, tout le temps, aux côtés de ta guitare. Ça fait quoi de venir dévoiler son univers tout entier en tant qu’artiste à un public qui n’est pas le sien, le tout en seulement trente minutes ?

Hubert : Ce n’est vraiment pas quelque chose de facile. Tu te sens en permanence à la merci du public. En tous cas c’est comme ça que je le ressens. Tu peux donner le meilleur de toi-même, faire le meilleur concert, tout dépendra des gens devant toi. Quand les gens ne sont pas là pour te voir personnellement jouer, c’est toujours plus compliqué d’attraper leur attention. Monter sur scène m’a toujours stressé·e, toujours. Du coup j’essaye quand même de garder les pieds sur terre et de relativiser quant aux risques que je prends en jouant comme ça (rires).

LVP : Ce 16 novembre, tu vas jouer au Fifty Lab Music Festival. Ça fait quoi de pouvoir présenter ce sur quoi tu travailles depuis des années à un public qui pour le coup, est venu pour toi ?

Hubert : C’est encore plus stressant (rires). Les enjeux sont plus grands que jamais, je serai avec plusieurs musicienn·es sur scène, on a une plus grande production que d’habitude. J’espère que tout se passera bien (rires), mais j’ai tellement hâte !

LVP : Si tu devais décrire l’album qui sort en février prochain en un mot, ce serait lequel ?

Hubert : Je pense que le mot turbulences est potentiellement le meilleur mot pour décrire l’album.

LVP : 2023, c’est l’année de quoi pour Porcelain Id ?

Hubert : C’est l’année du passage au niveau supérieur ! En tous cas de l’étape d’après. On n’a qu’un seul premier album, il faut tout donner.


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